Madagascar a été secoué par une crise majeure avec les manifestations de rue qui ont débuté le 25 septembre. La révolte de la génération Z, née de la colère contre les coupures d’eau et d’électricité, a conduit le 13 octobre à la chute du président Andry Rajoelina, renversé par le Corps d’armée des personnels et des services administratifs et techniques (Capsat). Suspendue de l’Union africaine, l’île aborde une transition incertaine.
Dans cet entretien, le politologue Juvence Ramasy – qui a étudié la formation de l’Etat malgache, l’armée et la trajectoire démocratique du pays – décrypte les racines sociales du mouvement, les risques qui pèsent sur cette transition et le rôle majeur de l’armée dans la vie politique malgache.
Quels sont les principaux risques auxquels Madagascar fait face après le départ d’Andry Rajoelina ?
Le nouveau régime devrait faire en sorte que sa suspension par l’Union africaine, suite au changement inconstitutionnel de régime conformément à la Charte de Lomé, n’entraîne pas un arrêt des financements internationaux. Ces financements proviennent de bailleurs multilatéraux et bilatéraux.
En 2023, Madagascar a reçu 1,25 milliard de dollars d’aide publique, d’après l’OCDE, dont un demi-milliard de la Banque mondiale, 172 millions des États-Unis, 126 millions de l’Union européenne, 100 millions du Japon, 81 millions de la France et 22 millions de la Banque africaine de développement.
Cette aide ne représente que 3,5 % du PIB, mais reste vitale, bien qu’elle soit assez faible en comparaison avec d’autres pays en développement. Par ailleurs, la faible part des appuis budgétaires de 1,2 % du PIB en 2025 reflète la méfiance des bailleurs.
L’aide extérieure soutient aussi les importations de riz, aliment de base de la population, et de carburant, essentiels pour maintenir des prix accessibles et pour offrir de l’électricité. Si ces importations venaient à diminuer, des tensions sociales pourraient surgir. D’ailleurs, le FMI venait de décaisser 107 millions de dollars. Un financement destiné à soutenir les réformes de la compagnie nationale d’électricité et d’eau, Jirama.
Toutefois, la présence diplomatique à l’investiture du 17 octobre marque un début de reconnaissance renforcé par les rencontres entre les représentations diplomatiques et les nouvelles autorités.
Face à un possible arrêt de l’aide internationale, les nouvelles autorités pourraient se tourner vers des solutions alternatives. Elles pourraient solliciter des bailleurs non traditionnels pour obtenir des financements parallèles. Une autre option risquée serait de recourir à l’économie illicite, suivant l’exemple de la transition de 2009-2013.
Quels facteurs ont sous-tendu les manifestations de la GenZ?
La Gen Z, composée principalement des jeunes urbains, est descendue dans la rue pour plusieurs raisons. Elle a exigé le respect de la liberté d’expression, l’accès à l’eau et à l’électricité en raison de délestages fréquents. D’après la Banque mondiale, avec seulement 30 % de taux d’électrification, 7 Malgaches sur 10 n’ont pas accès à l’électricité, et 54,4 % de la population a accès à l’eau avec seulement 12,3 % qui a accès à l’assainissement. Cette situation place Madagascar parmi les 76 pays les plus mal classés en la matière.
Elle s’est également levée contre la corruption systémique. Tous les régimes précédents ont érigé la corruption en mode de gouvernance. Madagascar se situe à la 140ème place sur 180 pays, au même rang que l’Irak, le Cameroun, le Mexique. Malgré les discours officiels, la lutte anti-corruption se heurte à des moyens insuffisants, à l’impunité des puissants et à une justice souvent instrumentalisée, une restriction de l’espace civique, une capture et une privatisation de l’État. Le régime de Rajoelina a été éclaboussé par plusieurs affaires de corruption impliquant des membres du gouvernement, sans que des poursuites ne soient engagées.
L’île a une longue histoire de crises politiques. En quoi la situation actuelle est-elle différente ?
En effet, depuis la première crise postcoloniale en 1972, la rue est devenue l’arbitre des luttes politiques. Son contrôle reste un enjeu politique central et s’inscrit dans une logique de production de pouvoir par le bas.
La Gen Z a démontré que la « rue-cratie » continue de peser sur les manières de faire et défaire les équilibres politiques. Ce mouvement a permis une mobilisation coordonnée à l’échelle nationale au sein des principaux centres urbains (Antananarivo, Antsiranana, Mahajanga, Toamasina, Toaliary), contrairement au précédentes crises grâce notamment à une utilisation habile des réseaux sociaux (Facebook, Discord, WhatsApp, Tik Tok).
Autre différence, ce sont les jeunes qui ont été les meneurs de ce mouvement au sein d’une société hiérarchisée où prédomine l’idéologie lignagère de l’aînesse. Les Z ou Zandry, cadet en malgache, se sont saisis de la parole pour porter à voix haute les maux de la société malgache.
Quel rôle l’armée a-t-elle joué dans la vie politique malgache jusqu’à présent ?
Les militaires malgaches correspondent à la figure du prétorien, c’est-à-dire qu’ils exercent un pouvoir politique indépendant de l’utilisation – ou la menace d’utilisation – de la force. Cette entrée dans le monde politique, déjà perceptible dans le Royaume de Madagascar, s’est manifestée au sein de l’État postcolonial en 1972, marquant le début de la prétorianisation de la vie politique.
Depuis lors, elle exerce le pouvoir de manière officielle ou officieuse participant à la régulation de l’ordre politique aussi bien dans les luttes de conquête, de monopole et de conservation du pouvoir. Son soutien est donc recherché par la société civile et politique en temps de crise. D’ailleurs, selon une enquête d’Afrobaromètre de fin 2024, 6 Malgaches sur 10 (60 %) considèrent qu’il est « légitime que les forces armées prennent le contrôle du gouvernement lorsque les dirigeants élus abusent du pouvoir à leurs propres fins ».
La prise de pouvoir par le Capsat, le 14 octobre, s’apparente à un « bon » coup d’État ayant reçu le soutien de l’autorité constitutionnelle et celui de la population. Ce “coup correctif” se donne comme mission de rectifier la trajectoire de l’État en vue de rétablir un ordre plus démocratique après sa refondation.
N’y a-t-il pas un risque que les militaires décident de conserver le pouvoir ?
La nomination d’un Premier ministre civil et d’un gouvernement majoritairement civil s’inscrit dans une tradition remontant à 1972, permettant de rassurer une partie de la société civile et politique et les partenaires internationaux. Or, cela est contesté par la Gen Z et une partie de la société en raison des liens présumés avec les anciennes élites dirigeantes.
Par ailleurs, l’accès au rang de chef d’État des quatre colonels composant le Conseil présidentiel de la refondation pourrait fragiliser le passage au pouvoir civil et ouvrir la voie à une restauration prétorienne. Gageons que les prochaines assises militaires veilleront à une meilleure délimitation des frontières entre le politique et le militaire.
Quelles mesures seraient nécessaires pour répondre aux revendications qui ont poussé les citoyens à descendre dans la rue ?
La refondation, à travers les assises sectorielles, devrait s’atteler à mettre un terme à la bonne gouvernance “autoritaire” où le capitalisme de connivence se combine à un autoritarisme concurrentiel avec des élections non libres. Elle devra en outre :
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restaurer la confiance envers les institutions et surtout la politique ;
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assurer une meilleure inclusion des citoyens, avec une emphase sur les ruraux ; la définition d’un nouveau contrat social ;
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établir une Constitution non partisane ;
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fournir des services publics de qualité (l’adoption du budget national au cours de la session parlementaire actuelle et les aides bailleurs donneront une indication) ;
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reconquérir la confiance des bailleurs en vue d’obtenir une aide budgétaire plus importante.
En définitive, la refondation devra garantir de manière effective la liberté et l’égalité des citoyens grâce au fonctionnement légitime et correct de ses institutions et mécanismes. Cela suppose une réinvention de l’État passant d’une réalité symbolique à un État “juste” et proche de la population reposant sur des valeurs partagées par la majorité des Malgaches en tant que socle du vivre-ensemble.













