L’accord commercial préférentiel entre les États-Unis et l’Afrique, en vigueur depuis un quart de siècle, a expiré le 30 septembre 2025. Il n’est pas certain que cet accord commercial soit renouvelé ni sous quelle forme. Grâce à la loi sur la croissance et les opportunités en Afrique (African Growth and Opportunity Act, Agoa), environ 35 pays d’Afrique subsaharienne ont pu exporter des milliers de produits vers le marché américain sans droits de douane.
Adoptée pour la première fois en 2000, cette loi visait à encourager les exportations africaines, à créer des emplois et à renforcer les liens commerciaux. Son utilisation a varié considérablement : l’Afrique du Sud exportait des voitures et des agrumes ; le Kenya et l’Éthiopie se concentraient sur les vêtements ; le Lesotho et l’Eswatini dépendaient fortement des vêtements ; Maurice exportait des textiles et des fruits de mer.
Ces exportations soutiennent des centaines de milliers d’emplois. Une part importante de ces emplois est occupée par des femmes et des jeunes travailleurs, en particulier dans les régions où les emplois formels sont rares. Pour les exportateurs africains, un monde sans Agoa et avec des droits de douane américains plus élevés représente une double pression sur leur compétitivité.
La question de savoir si l’Agoa sera réactivé et assez rapidement relève du Congrès américain et non de la Maison Blanche qui a exprimé son soutien à une prolongation d’un an. Des accords transitoires sont à l’étude, mais seule l’adoption d’une nouvelle loi permet d’être sûr que l’accord sera renouvelé. Si l’accord n’est pas conclu ou reste incertain, ce sont les petits exportateurs spécialisés dans le secteur de l’habillement qui emploient de nombreux travailleurs à faibles revenus qui en souffriront le plus.
Je suis un chercheur en commerce international qui s’intéresse aux problèmes de développement économique des pays en développement. En 2023, j’ai publié une analyse fondée sur des publications académiques et des rapports de politique publique, portant sur l’impact de l’Agoa sur les performances économiques de l’Afrique subsaharienne.
Si le Congrès ne parvient pas à se mettre rapidement d’accord, la suspension se prolongera. Même si un renouvellement intervient plus tard, certains dégâts, tels que des commandes annulées et des quarts de travail perdus, auront déjà été causés, et toute solution rétroactive sera inégale selon les secteurs et les entreprises. L’incertitude a un coût : le flou autour du renouvellement de l’Agoa freine les commandes et les investissements, en particulier dans les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre tels que l’habillement et les composants automobiles.
Dans le contexte actuel d’incertitude économique, les exportateurs Agoa devraient donner la priorité à trois mesures clés. Premièrement, prendre des mesures pour rediriger les commandes vulnérables vers les régimes préférentiels de l’UE et les acheteurs régionaux dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca). Deuxièmement, investir dans la compétitivité en améliorant les ports et en rendant les douanes plus prévisibles. Enfin, mener des actions de plaidoyer efficaces à Washington pour obtenir un renouvellement de transition court et rétroactif.
Le coût élevé de l’incertitude pour l’Afrique
Le statut d’exonération des droits de douane est important pour l’Afrique. Prenons l’exemple d’un t-shirt en coton basique provenant d’un pays comme le Kenya ou le Lesotho, qui remplit les conditions requises par l’Agoa et entre aux États-Unis sans taxe. Sans l’Agoa, le droit de douane standard de la nation la plus favorisée est d’environ 16,5 % sur les t-shirts en coton. Cette variation seule peut supprimer les faibles marges bénéficiaires et détourner les commandes vers d’autres fournisseurs.
Entre 2001 et 2021, la valeur des importations américaines en provenance des pays éligibles à l’Agoa a atteint 791 milliards de dollars de marchandises. La valeur correspondante de l’aide économique américaine à ces pays s’est élevée à 145 milliards de dollars entre 2001 et 2019. L’écart entre ces deux montants souligne l’importance de l’Agoa dans les relations économiques entre les États-Unis et l’Afrique.
Les préférences commerciales ont particulièrement profité aux secteurs de l’habillement, du textile, de l’agriculture et de l’industrie légère. Cependant, l’impact a été inégal. Certains pays ont su mieux tirer parti de ces opportunités que d’autres, de sorte que les conséquences d’une expiration seront également inégales entre les exportateurs.
Les pôles de confection, les plus touchés : le Lesotho, l’Eswatini, Madagascar, le Kenya et Maurice ont construit toute leur base d’exportation autour de l’accès sans droits de douane pour les vêtements. Sans cet accord, les droits de douane américains habituels pour les nations les plus favorisées (généralement de 10 à 20 %) s’appliquent immédiatement, les marges déjà minces disparaissent et les commandes sont annulées. Les fermetures d’usines et les pertes d’emplois s’ensuivent rapidement.
Les voitures et les fruits d’Afrique du Sud : les exportations sud-africaines de véhicules, de pièces détachées, de vin, d’agrumes et de noix sont également soumises à de nouveaux droits de douane. Ces secteurs compétitifs à l’échelle mondiale sont très sensibles aux coûts ; la perte des préférences réduit les investissements dans la chaîne d’approvisionnement automobile et les revenus agricoles.
Les exportateurs de pétrole sont moins exposés : le pétrole brut est généralement déjà soumis à des droits de douane américains peu élevés, de sorte que des pays comme le Nigeria et l’Angola sont moins touchés que les fabricants et les agriculteurs non pétroliers.
Les pays récemment réintégrés sont vulnérables : les pays qui viennent seulement de retrouver leur éligibilité – après avoir été suspendus en raison de préoccupations liées aux droits de l’homme, à la gouvernance (y compris les coups d’État) ou aux droits du travail – risquent de voir les investisseurs hésiter à nouveau dans un contexte d’incertitude persistante.
Ce que peuvent faire les exportateurs africains
Compte tenu de la combinaison de la législation américaine et de la pratique présidentielle, il existe trois voies réalistes pour sortir de l’impasse commerciale. Le Congrès pourrait adopter une prolongation pluriannuelle dans les semaines à venir. Cela permettrait de rétablir la confiance des acheteurs et des usines. Une autre solution consiste en un renouvellement « transitoire » de courte durée, dans le cadre duquel les législateurs accepteraient une prolongation d’un ou deux ans. Ce scénario évite le précipice, mais maintient les investissements en suspens : les acheteurs pourraient passer des commandes plus modestes et répétées, et reporter les nouvelles lignes jusqu’à ce que les perspectives à long terme soient clarifiées. La dernière option consiste à laisser la situation en suspens.
Tant que l’incertitude persiste, les exportateurs africains peuvent envisager d’autres mesures pour soutenir leur activité. J’en propose trois :
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Prévoir l’incertitude : rediriger les commandes vulnérables vers les marchés de l’Union européenne. Utiliser le système de préférences généralisées et les accords de partenariat économique pertinents lorsque les règles d’origine sont respectées. Se tourner également vers les acheteurs régionaux dans le cadre de la zone de libre-échange continentale africaine. Cette approche peut être renforcée par des améliorations logistiques, telles que :
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le dédouanement préalable : permettre le traitement douanier avant l’arrivée des marchandises au port, ce qui réduit les temps d’attente
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le guichet unique douanier : un portail numérique où tous les documents commerciaux sont soumis une seule fois, ce qui réduit les retards et les formalités administratives
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les départs réguliers : des horaires de transport fixes et fiables qui raccourcissent les cycles de livraison et renforcent la confiance des acheteurs.
Ensemble, ces mesures peuvent améliorer les marges bénéficiaires grâce à des délais d’exécution plus courts. Les pays peuvent également combler les déficits de fonds de roulement des entreprises exposées grâce à des garanties commerciales ou à l’escompte de factures, afin que les commandes confirmées ne soient pas annulées. Ils devraient également maintenir un groupe de travail public-privé permanent, prêt à s’adapter à l’évolution des décisions américaines.
Faire des actions de lobbying intelligentes à Washington : les pays concernés devraient se coordonner avec les ambassades et les principaux exportateurs. Ils devraient présenter des preuves tangibles, notamment des lettres d’acheteurs, des chiffres sur l’emploi et la répercussion probable des prix américains, afin de plaider en faveur d’un renouvellement « transitoire » court et rétroactif. Ils peuvent également souligner que l’accès prévisible favorise la diversification de la chaîne d’approvisionnement américaine hors de Chine et stabilise les prix à la consommation.
Ces pays pourraient également harmoniser leurs messages dans tous les secteurs concernés, de l’habillement à l’automobile en passant par l’agroalimentaire. L’objectif est de montrer un impact économique global plutôt que de se limiter à des arguments particuliers. Ils devraient également synchroniser leurs actions de sensibilisation avec les fenêtres parlementaires et les calendriers des commissions.
Investir dans la compétitivité : les responsables commerciaux devraient rivaliser en matière de fiabilité. En effet, une alimentation électrique fiable, des ports plus rapides et des douanes prévisibles sont souvent plus importants pour les acheteurs que les seuls salaires. Développer les intrants régionaux (du fil au vêtement, emballage, pièces détachées) afin qu’un choc sur un marché ne mette pas un terme à la production, et adapter les tests et la certification pour répondre en une seule étape aux normes américaines, européennes et britanniques.
Ils devraient viser à remonter la chaîne de valeur : du FOB/forfait complet (par exemple, dans le secteur de l’habillement, non seulement la coupe, la confection et la finition, mais aussi l’approvisionnement en tissus et garnitures et l’organisation de la logistique) aux composants, aux marques et aux produits prêts à consommer, où les marges sont plus stables. Lier les incitations à l’investissement à des résultats vérifiables : emplois, livraisons complètes et ponctuelles, et production propre.
Pendant trois décennies, les gouvernements africains ont été exhortés à libéraliser et à renforcer leurs capacités d’exportation en échange de la promesse de règles prévisibles. Le retrait soudain des États-Unis change la donne : il entraîne une hausse des prix sur le marché intérieur, des suppressions d’emplois à l’étranger et une réduction de l’espace pour un commerce fondé sur des règles. Les exportateurs peuvent gagner du temps grâce aux marchés européens, aux acheteurs régionaux et aux solutions logistiques.
Seule une action claire du Congrès américain, via une reconduction immédiate puis une réforme pluriannuelle, peut restaurer la certitude nécessaire à des échanges mutuellement bénéfiques.
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