Le paludisme reste l’une des maladies infectieuses les plus dévastatrices au monde, causant plus d’un demi-million de décès chaque année. En Afrique, la maladie est principalement causée par un parasite transmis par les moustiques, le Plasmodium falciparum.
Lorsque le parasite envahit le corps humain, il se retrouve dans un environnement hostile : forte fièvre, attaques du système immunitaire et stress causé par les médicaments antipaludiques. Il parvient néanmoins à survivre grâce à un système de défense interne composé de molécules « auxiliaires » appelées protéines de choc thermique.
Parmi celles-ci, un groupe puissant appelé petites protéines de choc thermique agit comme la dernière ligne de défense du parasite. Ces molécules se comportent comme de minuscules gardes du corps, protégeant les autres protéines à l’intérieur du parasite contre les dommages lorsque les conditions deviennent extrêmes. Elles constituent l’équipe de secours d’urgence du parasite lorsque ses réserves d’énergie sont dangereusement faibles, par exemple en cas de forte fièvre ou d’exposition à des médicaments.
Dans mon laboratoire de biochimie, nous cherchons des moyens de perturber ces gardes du corps.
Francisca Magum Timothy, étudiante en master, et moi-même utilisons des outils avancés de chimie des protéines pour examiner trois petites protéines de choc thermique présentes dans le parasite. Celles-ci partagent une structure centrale commune, mais se comportent différemment.
Nous avons découvert qu’elles peuvent être perturbées chimiquement. C’est une piste prometteuse pour la recherche sur le paludisme. Au lieu de tuer directement le parasite, cette approche vise à désarmer ses défenses, permettant ainsi à d’autres traitements ou au système immunitaire de l’organisme de faire le reste.
L’étape suivante consiste à trouver de petites molécules de type médicamenteux qui peuvent cibler et désactiver spécifiquement ces protéines parasitaires sans nuire aux cellules humaines. Cela nécessitera une modélisation informatique avancée, des tests en laboratoire et, à terme, des études sur des modèles animaux afin de s’assurer que cette approche soit à la fois efficace et sûre. En cas de succès, cela pourrait déboucher sur une nouvelle classe de médicaments antipaludiques qui agissent d’une manière complètement différente des traitements actuels. Il s’agit d’un objectif particulièrement important, car la résistance aux médicaments existants continue de croître.
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Entre les premiers travaux en laboratoire et le développement d’un médicament pouvant être testé sur des humains, il faudra probablement compter entre huit et dix ans, en fonction des performances des candidats à chaque étape de la recherche. Néanmoins, la découverte de ces cibles protéiques de choc thermique représente un grand pas en avant et offre un réel espoir pour lutter efficacement et durablement contre le paludisme à l’avenir.
Percer les mystères de trois protéines
Nous avons constaté des différences nettes entre les trois protéines que nous avons testées en laboratoire.
L’une était la plus puissante et la plus stable des trois. Une autre était plus flexible mais moins stable, tandis que la dernière était la moins protectrice.
Lorsqu’elles ont été testées dans des conditions de stress, les trois protéines ont agi comme des « éponges moléculaires », empêchant les autres protéines de s’agglutiner. Il s’agit d’une étape cruciale pour la survie du parasite pendant la fièvre. Mais leur pouvoir protecteur variait : l’une offrait la défense la plus constante, tandis que l’autre perdait plus facilement sa structure.
Ces résultats laissent penser que le parasite s’appuie sur une sorte de travail d’équipe entre ces trois protéines, chacune jouant un rôle légèrement différent en situation de stress.
Nous nous sommes donc demandé si des composés naturels présents dans les plantes pouvaient perturber ces gardes du corps. Notre équipe s’est concentrée sur la quercétine, un flavonoïde d’origine végétale. Les flavonoïdes font partie des composés qui donnent aux plantes leurs couleurs vives, comme le rouge des pommes, le violet des baies ou le jaune des citrons. Ils aident à protéger les plantes du soleil, des parasites et des maladies. Ils sont présents en abondance dans les pommes, les oignons et les baies. La quercétine est déjà connue pour ses propriétés antioxydantes et anti-inflammatoires. Certaines études ont déjà suggéré qu’elle pourrait ralentir la progression des parasites du paludisme.
Lorsque nous avons exposé les protéines du parasite à la quercétine, nous avons observé des effets remarquables. Le composé a déstabilisé les petites protéines de choc thermique, modifiant leur forme et réduisant leur capacité à protéger d’autres protéines. En termes simples, la quercétine semblait perturber ou affaiblir les gardes du corps du parasite.
D’autres tests ont confirmé que la quercétine ralentissait également la croissance des parasites du paludisme dans des cultures de laboratoire. Lorsque les parasites du paludisme ont été cultivés dans des conditions de laboratoire contrôlées et exposés à la quercétine, ils se sont multipliés plus lentement que d’habitude, y compris les souches résistantes aux médicaments standard. Ce résultat est encourageant, car il suggère que la quercétine elle-même, ou de nouveaux médicaments conçus pour agir comme elle mais de manière encore plus efficace, pourraient devenir le point de départ du développement d’un nouveau type de médicament antipaludique à l’avenir.
Par ailleurs, les petites protéines de choc thermique entrent en action lorsque les réserves d’énergie du parasite – appelées ATP, son « carburant » principal – sont presque épuisées. Autrement dit, lorsque le parasite est sur le point d’épuiser son énergie et fait face à un danger, ces protéines agissent comme sa dernière ligne de défense.
Prochaines étapes
Nos résultats ouvrent la voie à la conception de médicaments capables de bloquer ces protéines indépendantes de l’ATP, pour frapper le parasite précisément au moment où il est le plus vulnérable.
Bien que la quercétine elle-même soit un composé naturel présent dans de nombreux aliments, sa puissance et sa stabilité ne sont pas encore suffisantes pour un usage médical. L’équipe envisage donc de modifier chimiquement sa structure afin de créer des dérivés plus actifs et dotés de meilleures propriétés thérapeutiques.
Alors que les efforts mondiaux pour éliminer le paludisme sont confrontés à des défis croissants liés à la résistance aux médicaments, des innovations comme celle-ci redonnent espoir. En retournant le mécanisme de survie du parasite contre lui-même, les scientifiques ont peut-être trouvé un moyen subtil mais puissant de vaincre l’un des plus anciens ennemis de l’humanité.













