Face au changement climatique et à la pression démographique croissante, la gestion de l’eau dans le bassin de l’Aga-Foua-Djilas devient un enjeu crucial pour l’avenir agro-pastoral du Sénégal. Il s’agit d’un sous bassin versant du Sine-Saloum, dans la facade centre-ouest du Sénégal caractérisée par une forte activité agro-pastorale, qui fait face à des défis liés à la gestion de l’eau.
Philippe Malick Dione, spécialiste en changement climatique et gestion intégrée des ressources en eau, est l’un des auteurs d’une récente étude sur la projection des températures et les précipitations futures dans cette partie du Sénégal. Il explique à The Conversation Africa les défis liés à la disponibilité de la ressource, les limites des modèles de projection climatique et les stratégies à adopter pour assurer une gestion durable de l’eau et préserver la sécurité alimentaire dans la région.
Quels sont les principaux enjeux pour la gestion de l’eau dans le bassin de l’Aga-FouaDjilas ?
Dans un bassin versant agro-pastoral – zone géographique de collecte des eaux pluviales – et à forte croissance démographique tel que l’Aga-Foua-Djilas, l’enjeu majeur de la gestion de l’eau reste sa maîtrise. Qui parle de la maîtrise de l’eau parle évidemment de sa disponibilité qui, dans le bassin, dépend essentiellement des précipitations.
Les études que nous avons menées dans l’Aga-Foua-Djilas – un sous-bassin versant du Sine Saloum, situé le long de la frange centre-ouest du Sénégal, et peuplé de quelque 35 000 personnes – témoignent de la vulnérabilité du Sénégal au changement climatique.
Nous avons utilisé des modèles climatiques permettant de prédire le climat futur en reliant plusieurs de ses éléments essentiels, notamment les vents, les précipitations, les températures, la végétation, l’humidité du sol, les courants marins, etc. Ces modèles s’inscrivent dans une démarche scientifique du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC). Ces scénarios décrivent comment les choix politiques et socio-économiques vont influencer les émissions de gaz à effet de seere et, par-delà, le climat.
La période 1985-2014, prise comme référence dans l’étude, a enregistré des températures moyennes de 26,7°C et des précipitations de 444 mm. Quel que soit le scénario retenu, avec de faibles ou fortes émissions de GES, à moyen terme, c’est-à-dire en 2040, les températures moyennes pourraient augmenter d’au moins 0,87°C et les précipitations baisser de 3,8%.
À l’horizon 2100, les prédictions montrent une situation qui sera beaucoup plus alarmante avec une hausse de températures pouvant atteindre 4,08°C et une diminution de 36,1 % des précipitations. Cela va contribuer à une hausse de l’évaporation et de l’évapotranspiration, conjuguée à une baisse des écoulements. Ce qui va accentuer la sécheresse. Pour un bassin à fort potentiel agro-pastoral, cela posera des difficultés d’utilisation de l’eau, sans compter les conséquences sur la santé humaine.
Quelles sont les limites du modèle de projection utilisé dans votre étude ?
La principale limite des modèles globaux réside dans leur résolution spatiale qui est grossière. Les scénarios utilisés ont une résolution spatiale de 2,5° × 2,5° soit 62500 km2, alors que le bassin s’étend sur 317,4 km2. Cette résolution des modèles est donc trop large afin d’évaluer les variations du climat à une échelle plus réduite.
Toutefois, afin de nous assurer de la validité et de la fiabilité des résultats projetés, nous avons corrigé les biais des données à l’aide de ce qu’on appelle la méthode des quantiles modifiés – une méthode statistique utilisée afin de réduire les écarts entre les données climatiques simulées et celles mesurées sur le terrain. Les données des stations de Mbour et de Fatick (centre-ouest du Sénégal) ont servi de base de validation. Nous avons par la suite calculé le coefficient de corrélation qui a donné une valeur supérieure à 0,70. Cela prouve qu’il existe une relation forte entre les données.
Autrement dit, la comparaison entre les données corrigées et celles mesurées sur le terrain, montre qu’elles évoluent ensemble.
Par ailleurs, les modèles climatiques reposent sur des scénarios d’émissions de gaz carbonique, que les choix politiques et socio-économiques peuvent faire évoluer différemment. Les modèles demeurent d’excellents outils de prédiction qui permettent d’avoir une idée sur le climat futur et se préparer à toute éventualité.
Comment vos résultats influencent-ils l’agriculture dans la région ?
Les résultats sont un outil précieux qui peut aider l’ensemble des acteurs – agriculteurs, éleveurs, décideurs politiques et partenaires techniques et financiers – à prendre des décisions en vue de développer des stratégies d’adaptation au changement climatique et garantir la sécurité alimentaire dans la région.
Les communautés locales doivent être conscientes des défis réels d’adaptation que posent les projections climatiques. Elles sont appelées à promouvoir des techniques durables de collecte et de conservation des eaux de pluies, d’irrigation plus efficaces permettant de minimiser les pertes en eau.
Dans leurs politiques publiques, les décideurs doivent intégrer les résultats des projections climatiques, afin d’anticiper les impacts futurs du changement climatique sur les ressources en eau. Cela peut se faire à travers des plans de gestion de l’eau à l’échelle locale, de gestion des risques climatiques, par une approche par bassin-versant.
Quels autres facteurs, en plus du climat, doivent être pris en compte pour la durabilité de la région ?
La Gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) et la cohabitation du couple agriculture-élevage sont des aspects fondamentaux pour ce bassin de l’Aga-Foua-Djilas. Les acteurs locaux doivent se regrouper en coopératives qui vont servir de cadres de gouvernance participative des ressources en eau; et par-delà des ressources naturelles. Ces organisations doivent regrouper toutes les parties prenantes et aider à pérenniser la cohabitation du couple agriculture-élevage.
Avec le développement croissant des activités de contre-saison notamment le maraîchage dans les bas-fonds du bassin versant et celui de l’agrobusiness par des promoteurs privés nationaux et internationaux, le foncier pastoral perd du terrain. Cette situation est à l’origine de nombreux conflits entre agriculteurs et éleveurs et contraint ces derniers à la transhumance.
La préservation de l’environnement demeure par ailleurs essentielle. Il faut mettre en oeuvre des actions citoyennes en faveur de l’environnement.
Quelles autres recommandations formuleriez-vous?
Nous lançons un appel aux autorités et les invitons à appliquer les résultats de la recherche dans la planification des projets et programmes de développement. Nous les encourageons aussi à accompagner les communautés locales à travers des aménagements hydro-agricoles et la mise sur pied de coopératives agro-pastorales.
Nous considérons la maîtrise de l’eau et les coopératives de production comme les fers de lance de la souveraineté alimentaire pour un pays comme le Sénégal.
Nous invitons également les autorités étatiques ainsi que les partenaires, notamment la société civile, à organiser des campagnes de sensibilisation et d’éducation environnementale destinées aux populations.
Etes-vous inquiet pour l’avenir de cette zone à moyen ou à long terme? Faut-il s’attendre à des déplacements de population ?
Quand un territoire est menacé, deux choses s’offrent à sa population : migrer ou s’adapter. Pour le cas de l’Aga-Foua-Djilas, certes nous sommes inquiets quant à son avenir, mais nous ne nous attendons pas à des déplacements de population, bien que naturellement, des migrations saisonnières plus régulières pourraient avoir lieu.
Le maraîchage constitue l’une des stratégies de résilience des populations dans le bassin. Avec les difficultés d’accès à l’eau et la non maîtrise du système post-récolte, cette activité maraîchère reste très vulnérable. Avec l’agrobusiness qui gagne de plus en plus du terrain, d’aucuns préfèrent être employés comme ouvriers agricoles journaliers que de mener leurs propres activités. Cet agrobusiness a malheureusement accentué la spéculation foncière dans la zone et les paysans, vu les difficultés qu’ils rencontrent, n’hésitent plus à vendre leurs terres aux promoteurs agricoles.
La combinaison de ces différents facteurs – baisse des précipitations et des écoulements, non-maîtrise de l’eau, recul du foncier pastoral et transfert des terres de cultures familiales entre les mains de promoteurs privés – va, à long terme, rendre l’avenir des populations dans cette zone incertain. Cette situation ne saurait guère favoriser la souveraineté alimentaire du pays, d’autant plus que les promoteurs agricoles exportent l’essentiel de leurs productions.