Mati Diop a le cinéma dans le sang. L’actrice franco-sénégalaise de 42 ans a lancé sa carrière de réalisatrice de longs métrages de manière spectaculaire avec Atlantique, qui a remporté le premier prix au Festival de Cannes en 2019 et une série de récompenses.
Son documentaire Dahomey a suscité un engouement similaire et a été présélectionné pour les Oscars 2025. Nous avons demandé à David Murphy, spécialiste du cinéma sénégalais, de nous en dire plus.
Qui est Mati Diop ?
Mati Diop est une réalisatrice extrêmement talentueuse et innovante. Elle est également une actrice accomplie qui a joué dans plusieurs films français, notamment 35 Rhums de Claire Denis.
Née à Paris en 1982, elle a grandi en France, mais a souvent visité le Sénégal pendant son enfance, car elle est issue d’une grande lignée culturelle sénégalaise.
Son père est Wasis Diop, un musicien inventif et expérimental qui fusionne la musique folklorique sénégalaise avec la pop et le jazz occidentaux. Son oncle était le cinéaste sénégalais non-conformiste Djibril Diop Mambéty. Il a réalisé des classiques tels que Touki Bouki et Hyènes. Pour faire bonne mesure, sa mère, Christine Brossard, évolue dans le monde de l’art français et est photographe.
Maja Hitij/Getty Images
Bien qu’elle ait déjà réalisé des courts-métrages, Diop a attiré l’attention du monde entier en 2019 lorsqu’elle a remporté un prestigieux prix au Festival de Cannes pour son premier long-métrage de fiction, Atlantique.
Son documentaire Dahomey a remporté le premier prix du Festival international du film de Berlin en 2024. Au cours des dernières années, Diop s’est imposée comme l’une des voix artistiques les plus créatives dans le domaine des films sur l’Afrique contemporaine.
De quoi parle Dahomey ?
Dahomey est un documentaire sur une question controversée, le rapatriement d’œuvres d’art africaines pillées dans des musées occidentaux.
Ces objets – 26 trésors royaux – ont été dérobés dans le royaume précolonial du Dahomey (situé dans l’actuel Bénin). Le président français Emmanuel Macron s’est prononcé en faveur de leur restitution, et a initié un processus lent et graduel dans ce sens.
À première vue, l’histoire de Dahomey ne semble pas particulièrement spectaculaire. Prendre des objets d’un musée parisien et les envoyer dans un musée béninois peut être important et symbolique sur le plan politique. Mais comment faire un film créatif, perspicace et divertissant qui plaira également à un large public ? En fait, Diop tisse une histoire qui cherche à explorer ce que signifie pour les Africains la restitution de ce patrimoine. Pour ce faire, elle donne la parole aux Africains, qu’ils soient conservateurs du patrimoine, étudiants ou grand public.
Dans son geste créatif le plus audacieux, elle donne également la parole à l’un des objets restitués, une magnifique statue en bois grandeur nature du roi Ghézo (qui a régné sur le Dahomey au XIXe siècle), représenté comme mi-homme, mi-oiseau. Beaucoup d’objets exposés dans les musées européens comme de beaux objets inanimés ont en fait joué un rôle spirituel très important dans les sociétés précoloniales. Ils formaient essentiellement un pont entre le monde des vivants et celui des esprits, et Diop s’intéresse à ce que cela pourrait signifier pour ces esprits de retourner dans une Afrique qui a été transformée en leur absence.
Ainsi, Dahomey n’est pas un documentaire ordinaire. Il n’y a pas de narration en voix off qui explique le contexte du voyage de retour de ces objets. À part quelques légendes à l’écran qui expliquent la situation dans son ensemble, les spectateurs doivent reconstituer le fil de l’histoire et en tirer leur propre interprétation.
Dans la première moitié du film, on voit les conservateurs du Bénin et les ouvriers français se déplacer dans le musée du quai Branly à Paris. Ils inspectent l’état des objets fragiles tout en les inventoriant et en les emballant pour les mettre en sécurité pour le voyage. Au début, leurs voix sont les seules que l’on entend.
Mais ensuite, on commence à entendre la voix grave et déformée électroniquement de la statue du roi Ghézo qui se réveille d’un long sommeil. A travers cette voix off (écrite par l’auteur haïtien Makenzy Orcel), Ghézo partage ses réflexions sur le sentiment de déracinement et de désarroi qu’il éprouve face à son exil forcé, son périple à travers les mers pour être exposé dans un musée parisien, ses souvenirs du continent qu’il a dû quitter.
Une fois les objets arrivés au Bénin, le film suit un processus inverse. La caméra s’attarde sur les ouvriers africains supervisant leur installation, entrecoupée de la voix de la statue qui tente de comprendre l’Afrique dans laquelle elle est revenue.
La plus longue partie du film donne la parole à des étudiants d’université locaux qui débattent de ce que signifie la retour de ce patrimoine. Si certains considèrent ce processus comme vital, d’autres y voient une distraction par rapport aux problèmes majeurs auxquels le continent est confronté. Le film ne cherche pas à pousser le spectateur à prendre parti. Ce qui est important, c’est que différentes voix africaines soient entendues afin que les Africains puissent,par eux-mêmes, se forger une opinion éclairée.
De quoi parle Atlantiques ?
Atlantiques est un film sur la crise migratoire qui voit de nombreux jeunes Sénégalais (et quelques femmes) partir de la côte pour des voyages dangereux dans de petits bateaux de pêche afin d’essayer d’atteindre la terre promise économique de l’Europe (dans ce cas, les îles Canaries). Mais le film est aussi une histoire d’amour sur un jeune couple, Ada et Souleiman.
Avec un groupe de jeunes hommes, dont beaucoup ont été escroqués par un homme d’affaires local corrompu, Souleiman se lance dans un voyage périlleux. Les petites amies et sœurs abandonnées attendent des nouvelles de leurs petits amis et frères et finissent par se venger de l’homme d’affaires. Sans dévoiler les détails de l’intrigue, disons simplement que le film est un mélange saisissant de drame social et de thriller surnaturel.
Pourquoi sa contribution au cinéma est-elle importante ?
Avant tout, Mati Diop est une grande conteuse. Atlantique et Dahomey sont des films qui prennent comme point de départ des sujets d’actualité importants et tissent autour d’eux des histoires passionnées, complexes et étranges.
Elles sont étranges non pas parce que Diop essaie d’être artistiquement excentrique, mais parce que la vie est fondamentalement étrange et défie toute explication facile. C’est un point de vue artistique que son oncle,Djibril Diop Mambéty aurait compris.
À l’instar de son œuvre, les fictions de Diop contiennent de longues sections qui s’attardent de manière obsessionnelle sur les détails de la vie « réelle », tandis que ses documentaires contiennent de nombreux éléments fictifs. En fait, son court métrage documentaire Mille Soleils (2013) est un merveilleux hommage à la beauté étrange de l’œuvre de Mambety. Dans un mélange remarquable de réalité et de fiction, elle retrace l’histoire des acteurs qui ont incarné le jeune couple dans son chef-d’œuvre avant-gardiste, Touki Bouki.
Dans l’œuvre de l’oncle et de la nièce, le réel et la fiction, l’étrange et le banal se mêlent pour former un ensemble mystérieux et étonnamment original qui défie toute catégorisation.