Donald Trump, le nouveau président américain, a réduit massivement les engagements des États-Unis envers les demandeurs d’asile, bloqué toutes les procédures d’asile et commencé à expulser les immigrés en situation irrégulière.
Ces mesures, d’une très grande ampleur, incluent la suspension du programme américain d’admission des réfugiés. Les vols réservés pour les réfugiés vers les États-Unis ont été annulés. Les arrestations et les déportations ont commencé.
Des politiques fortement anti-immigration ont également été menées sous l’administration Biden, bien que les mesures spectaculaires prises par Trump aillent beaucoup plus loin. D’autres pays du Nord ont aussi durci leurs politiques migratoires. Le Pacte européen sur la migration et l’asile de 2024 prévoit des contrôles plus stricts aux frontières, une évaluation plus rapide des demandes d’asile et un renvoi plus rapide de ceux qui ne remplissent pas les conditions requises. Au Royaume-Uni, le Premier ministre travailliste Keir Starmer a promis de réduire le taux net de migration et de traiter les passeurs comme des terroristes.
Sur la base de mes recherches sur l’immigration au cours des 30 dernières années, je pense que ces mesures ont peu de chances de durer. Il existe deux tendances liées qui rendent la fermeture des frontières du Nord impraticable et vouée à être révisée.
La première est que les populations de la plupart des pays du Nord vieillissent rapidement (en moyenne) et que le taux de fertilité, ou taux de croissance naturel de la population, a chuté. Résulat : le pourcentage des personnes âgées a augmenté.
Deuxièmement, avec une main-d’œuvre qui diminue et un taux de dépendance (la proportion de personnes qui ne travaillent pas par rapport à celles qui travaillent) qui augmente rapidement. Fermer les frontières aux travailleurs étrangers, sans aucun ajustement, aurait des conséquences économiques majeures : ralentissement ou stagnation de la croissance, baisse des recettes publiques, et défaut d’entretien des infrastructures et affaiblissement des services sociaux.
Il existe plusieurs alternatives aux politiques anti-immigration. Parmi celles-ci : encourager la migration vers le Sud, accroître le recours aux robots et à l’intelligence artificielle, développer le travail à distance pour les travailleurs du Sud global ou encore instaurer des dispositions permettant l’accueil de migrants, de manière temporaire ou en tant que migrants circulaires.
Toutes ces stratégies sont déjà mises en œuvre, quoique modestement. Leur application devrait être considérablement élargie.
Panique infondée
Les réactions des gouvernements du Nord sont exagérées. Les gouvernements qui ont mis en place des mesures anti-immigration sévères l’ont fait en s’appuyant sur l’idée erronée d’une augmentation massive des flux migratoires à l’échelle mondiale.
Ce n’est pas le cas. Certains pays, comme les États-Unis, l’Allemagne et la Colombie, ont connu une augmentation du nombre de réfugiés et d’autres migrants. Mais pour le reste du monde, la situation n’a guère changé depuis des décennies.
La proportion de résidents nés à l’étranger (critère le plus répandu pour définir les migrants) est passée de 2,3 % en 1970 à 3,6 % en 2020. Mais en 1960, ce chiffre était supérieur à 3 %, et à la fin du XIXe siècle, les migrants représentaient quelque part entre 3 % et 5 % de la population mondiale.
Le chiffre de 3,6 % n’est donc pas nouveau.
Quant aux réfugiés, ils étaient environ 38 millions en 2023, dont 69 % ont cherché refuge dans les pays voisins et 75 % dans les pays à revenu moyen ou faible.
En général, ce ne sont donc pas les pays riches qui portent le plus lourd fardeau.
Alors, pourquoi ce durcissement des politiques migratoires ? La véritable explication réside dans la stagnation du niveau de vie dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Les logements sont plus chers et plus difficiles à trouver. Les inégalités se sont accrues depuis les années 1980. La qualité et la disponibilité des services publics se sont détériorées depuis la crise financière mondiale de 2008 et le COVID-19. Le marché de l’emploi a basculé vers des postes précaires et mal rémunérés dans le secteur des services.
Cette situation a contribué à la montée du populisme, y compris du sentiment anti-étrangers et même de la xénophobie.
Les actions de Trump sont les plus extrêmes à ce jour. Il a ordonné le blocage des « étrangers impliqués dans l’invasion », en donnant aux forces de sécurité des pouvoirs renforcés. L’interdiction des audiences d’asile à la frontière sud des États-Unis et l’ordre de « rester au Mexique » signifient que les demandeurs d’asile potentiels de pays tiers ne peuvent pas franchir la frontière pour déposer leur demande au point d’entrée. Ils doivent faire leur demande à distance.
Trump a ordonné la restriction du droit du sol en le limitant aux enfants de certaines catégories de résidents, essentiellement des citoyens ou des personnes détentrices de carte verte. Ce décret a été temporairement bloqué dans certains États par des juges qui l’ont jugé inconstitutionnel.
En outre, le directeur par intérim du département de la sécurité intérieure a donné aux fonctionnaires de l’immigration et des douanes le pouvoir d’expulser les migrants admis temporairement aux États-Unis dans le cadre de plusieurs programmes de l’administration Biden, en ciblant les réfugiés de Cuba, du Nicaragua, du Venezuela et d’Haïti, et peut-être aussi les réfugiés afghans et ukrainiens.
Le tout premier projet de loi à recevoir l’approbation finale du Congrès américain sous le second mandat de Trump, la loi Laken-Riley, exigerait la détention et l’expulsion des migrants qui entrent dans le pays sans autorisation et qui sont accusés de certains crimes. Ce projet de loi a été adopté avec 263 voix et 156 voix contre, ce qui signifie que 46 démocrates de la Chambre des représentants ont soutenu le projet de loi républicain.
En revanche, dans les pays du Sud, comme je l’ai expliqué ailleurs, la tendance s’est inversée. Les communautés régionales d’Amérique du Sud ont mis en place des politiques migratoires plus ouvertes au cours des dernières décennies, tout comme l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est.
La voie à suivre
Certaines stratégies alternatives montrent déjà la voie.
Au Canada, le programme des travailleurs étrangers temporaires s’est développé régulièrement depuis 1973, incluant de plus en plus de travailleurs peu qualifiés circulant à long terme pour des professions clés telles que la restauration, les soins, la construction et l’agriculture. Bien qu’il fasse actuellement l’objet d’un examen politique approfondi en raison de la panique que suscite l’immigration dans le Nord et de la pénurie de logements au Canada, il a de fortes chances de perdurer et d’évoluer.
Dans l’UE, les Talent Partnerships sont désormais encouragés. L’Allemagne, par exemple, a conclu des partenariats de talents avec le Kenya et le Maroc, à travers lesquels elle forme des travailleurs de la santé et des techniciens en informatique de ces pays pour qu’ils puissent travailler et vivre en Allemagne. L’Espagne a conclu plusieurs partenariats en Amérique latine et en Afrique. Le Premier ministre Pedro Sanchez a choisi d’être franc sur ces choix. En octobre de l’année dernière, il a déclaré aux Espagnols :
L’Espagne doit choisir entre être un pays ouvert et prospère et un pays replié sur lui-même et pauvre.
L’actuelle vague de protectionnisme démographique est de plus en plus agressive, mais il est peu probable qu’elle résiste à l’épreuve du temps. Plusieurs réponses constructives à l’augmentation du taux de dépendance sont possibles, mais l’ouverture à davantage de migration, éventuellement sous de nouvelles formes et par de nouveaux canaux, fait inévitablement partie de la solution.
De nouvelles voies officielles pour les travailleurs migrants et des systèmes raisonnables pour les demandeurs d’asile, ainsi que la pleine application des règles contre les migrants irréguliers, pourraient être la combinaison qui fonctionne politiquement et économiquement.